Les journées s'enchaînaient toujours avec une certaine tranquillité pour Rasmus. Oh, bien sûr, l'hiver apportait son lot de bambins enrhumés, grippés, de mauvaise humeur, mais sa classe, c'était un peu une seconde famille pour le suédois, et il pardonnait toujours aux enfants leurs bêtises. Il ne se faisait pas pour autant dévorer par sa classe, mais depuis qu'il enseignait à Greystone, les anciens élèves ne cessaient de revenir le voir, lui faisait même de petits cadeaux. D'ailleurs, si on passait le pas de sa chambre, il avait un mur complet dédié aux dessins offerts par ses élèves. Mais c'était des élèves plus vieux, et un peu différent qu'il quittait sur les coups de 18h. Il avait terminé son cours. Un travail sur la méditation et la maîtrise de soi. Rien qui ne concerne vraiment les dons, mais qui par corrélation pouvait aider les évolués. Pas de solutions miracles hélas. Il salua ses élèves, même s'il les croiserait sûrement au réfectoire. Pour l'instant, il avait un peu de temps libre.

Ce temps-là, il aimait le passer à lire dans la bibliothèque, veillant au calme. Il s'attaquait depuis quelques mois à la littérature japonaise. Les grands classiques. Le Dit du Genji en ce moment. Mais alors qu'il était installé tranquillement, une vive douleur se fit ressentir au niveau de ses mains. Le livre tomba de ses mains, dans un brut mat, faisant lever la tête à quelques étudiants. Il n'eut pas le temps de ramasser le livre qu'un élève l'avait déjà récupéré. Il lui fit un sourire rassurant avant de s'éclipser rapidement. Malgré les années, la douleur le surprenait parfois encore. Lui faisant perdre le contrôle sur ses émotions. Il inonda ses mains d'eau une fois dans les sanitaires. Il avait beau savoir que cette douleur n'était pas vraiment réelle, elle était si vive, fulgurante. Même le contact aqueux ne lui procurait un soulagement que partiel. Il fallut plusieurs minutes pour qu'il reprenne son souffle. Ses mains tremblaient encore un peu quand il passa de l'eau sur son visage. La crise semblait néanmoins être passée. Il sortit alors, essayant d'être le plus digne possible, surtout pour ne pas inquiéter de possible élève. Et puis, c'était son devoir d'être un exemple, mais aussi de protéger l'endroit. Il n'avait pas le droit à l'erreur, surtout après les incidents de Noël.

Il bifurqua dans un couloir, préférant récupérer des médicaments dans sa chambre. Cependant sur son trajet, il se stoppa à un croisement, observant rapidement une silhouette qui ne lui était pas le moins du monde familière et pourtant particulièrement remarquable. Il fronça très légèrement les sourcils, et s'avança vers la femme qui devait au bas mot faire une tête de plus que lui.

« Bonjour. Excusez-moi, mais je ne me souviens pas vous avoir déjà croisée ici, vous êtes ? Je m'excuse de cette méfiance, cependant l'institut n'est plus ouvert au public en raison de incidents de Noël. »dit-il d'une voix calme. « Mais peut-être connaissez vous quelqu'un ici ? En ce cas, je peux peut-être vous accompagner jusqu'à la dite personne. »

Il lança à la jeune femme un regard qui sans être agressif n'était pas exempt d'une certaine suspicion.

Les mains moites, Rasmus espérait que cette femme ne soit pas une menace. Après ses « crises », il était rarement en état d'utiliser correctement son don. Il était affaibli, moins précis, moins vif aussi. Au fil du temps, il avait appris à cacher ces symptômes, mais son regard trahissait toujours sa fatigue, sa lute interne, le conflit entre son corps inadapté et son don. Il fronçait d'ailleurs légèrement les sourcils. S'il n'avait plus mal aux mains, la douleur s'était faite plus diffuse, difficile à localiser. Mais il y avait plus important, il y avait toujours plus important. La douleur n'est qu'une perception nerveuse, il suffisait de ne pas y penser, de l'oublier.

« Ne vous excusez pas, vous ne pouviez pas savoir. Et les élèves ont tendance à ne pas tenir compte des nouvelles règles. »dit-il doucement.

Il écoutait attentivement la jeune femme. Il trouvait son attitude honnête. Du moins, jusqu'à la dernière phrase. Des affaires professionnelles ? Il connaissait les deux MacMahon, et il avait du mal à voir ce qu'ils auraient pu avoir comme affaires avec cette femme. Cela lui semblait un brin étrange. Il ne voulait pas succomber à la paranoïa mais tout de même... Et si en prime, elle ne savait pas à quel frère elle devait s'adresser, c'était encore plus suspect. Mais il n'allait pas être si sévère dans son jugement. Ce n'était pas son genre de ne pas laisser, ne serait-ce qu'une chance aux individus quels qu'ils soient.

« Je connais les MacMahon. »répondit-il avec un sourire neutre. « S'il s'agit de Fawst, vous ne devriez pas compter sur sa ponctualité. Ce n'est pas vraiment son genre, vous savez. »

Il ironisait un peu, mais il devait avouer que c'était une vérité, le grand brun n'avait rien de l'homme ponctuel. Sur ce point comme sur bien d'autres les deux frères étaient bien différents. Son regard se fit légèrement perçant, comme s'il essayait de mieux voir dans le jeu de la femme, mais c'était peine perdue. Il haussa les épaules, et invita d'un geste la grande dame à le suivre, s'engageant dans un couloir.

« Vous cherchez Quinn ou Fawst ? Ça fait une différence de taille, vous savez. Et de caractère, même si les deux sont plutôt insupportables, chacun à leur façon. » Il eut un petit rire. « Enfin, c'est ce qui fait leur charme je suppose. »lâcha-t-il avec un regard vers la jeune femme.

Peut-être que dire qu'elle avait des affaires professionnelles avec eux était une façon de cacher un intérêt tout autre. Ces jeunes étaient définitivement trop pudiques. Enfin, il espérait que ce soit ça. Même si une relation amoureuse avec les frères... Le grand n'était-il pas avec le petit blond qui venait souvent ? Et pour l'albinos, c'était possible ? Il avait du mal à concevoir une relation amoureuse avec quelqu'un qu'on ne peut pas serrer dans ses bras... Enfin. Ce n'était pas ses affaires... Il se contenta d'avancer, montant les escaliers.

Rasmus essayait de se focaliser sur la recherche des frères MacMahon pour ne pas montrer son trouble. Il se sentait vraiment nauséeux. Sa vue était aussi un peu troublée par des vertiges. C'était difficile de faire complètement abstraction. Il s'appuyait instinctivement contre le mur, sa main glissant sur celui-ci pour conserver un repère tangible. Au moins, il connaissait suffisamment l'institut pour s'y diriger malgré cet état pathétique. Et c'était lui qui devait veiller sur les élèves ? Quelle blague. Il n'était qu'une coquille vide, une figure d'autorité qui rassurait les élèves, parce qu'ils ne savaient pas. Ils n'avaient pas conscience de celui qui leur servait de modèle était littéralement consumé par son propre don.

« Quinn... Hm, c'est étrange qu'il n'ait pas été là. Il est plutôt sérieux et ponctuel habituellement... »laissa-t-il lui échapper, un poil soucieux.

Avec tous les incidents de Noël, il avait tendance à avoir peur quand quelque chose semblait anormal. Il connaissait presque tous les élèves, ils étaient importants pour lui. Comme les petits frères et sœurs qu'il n'avait jamais eu. Il voulait les garder loin de tout le malheur qui semblait s'approcher, comme les nuages noirs s'approchant avant l'orage. Et puis, les MacMahon étaient presque des anciens dans l'institut... Même Fawst avait quelque chose de vraiment attachant...

« Ne vous inquiétez pas, les oublis arrivent à tout le monde. Je serai mal placé pour vous juger avec mépris. »la rassura-t-il de sa voix calme, et fatiguée.

Il continua d'avancer, ralentissant peut-être un peu. Ses jambes peinant à suivre un rythme soutenu.

« Je vais vous accompagner jusqu'à la chambre de Quinn. Je dois moi-même rejoindre mes appartements, cela ne me dérange pas de vous accompagner, mademoiselle. »dit-il poliment. « Monsieur Arsanjani, Rasmus Arsanjani. Mais vous n'êtes pas obligé de retenir mon nom, je ne suis pas vraiment quelqu'un d'important. »

Il continua le long du couloir, s'arrêtant devant la porte du MacMahon désiré, frappant doucement à la porte. Il resta un peu devant la porte, mais aucune réponse. Il se permit d'ouvrir. Personne. Il fronça les sourcils. Il alla vers la porte suivante, répétant la cérémonie. Pas plus de réponse, ce qui voulait dire que les deux frères manquaient à l'appel. Il se tourna vers la jeune femme.

« Je suis désolé, mais je crois que vous ne trouverez pas les Mac Mahon ici... Peut-être qu'ils sont sortis ? »dit-il un peu surpris. « Vous voulez que j'essaie de les contacter ? Je dois avoir les numéros des deux dans nos papiers administratifs ? Ou que je prenne un message ? »