Aujourd'hui, c'est lundi et pour Marjorie, c'était une belle journée. Un beau ciel bleu légèrement parsemé de nuages, des petits oiseaux qui chantonnaient le début du printemps, un vent pas trop froid mais agréable, bref, tout ce qu'il fallait pour mettre du baume au cœur à notre jeune demoiselle.

Marjorie n'avait pas grand chose de prévu. Un matin tranquille pour émerger d'une douce nuit et faire un peu de rangement dans l'appartement car, ça ne fait jamais de mal d'enlever la poussière. Après son petit ménage matinal, elle se prépara un bon petit repas puis un café accompagné d'une petite pâtisserie juste avant d'aller à l'université pour ses cours.

« Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ». Elle aimait cette citation et des journées comme celle-ci lui donnait envie de le crier sur tous les toits. Mais elle se contenta de respirer un grand coup cet air frais de février avant de se diriger vers l'université en chantonnant une  petite mélodie.

L'après-midi passa aussi vite que l'éclair.
Marjorie rangea ses affaires et se tourna à droite en sortant de la salle. Ce n'était pas là son chemin habituel. D'habitude, elle tournait à gauche. Mais cette fois-ci, elle se devait d'aller à la bibliothèque. Elle avait reçu, le week-end dernier, une lettre lui indiquant que le délai de prêt était écoulé depuis presque deux mois et que c'était le dernier rappel. À chaque fois, elle oubliait ce livre d'histoire allemande chez elle ou bien, elle se disait « je n'aurais pas le temps aujourd'hui, je l'emmènerai demain ». Sauf que cette excuse s'était étendue à des semaines et Marjorie n'avait pas vraiment envie de se faire convoquer. Alors, quand elle avait reçu cet ultimatum, elle avait posté le livre bien en évidence sur le meuble d'entrée et avait collé sur chacune de ces portes et de ces murs des post-it rose, jaune et vert fluos pour lui rappeler de le prendre.

Elle descendit un étage puis longea un grand couloir silencieux avant d'arriver devant la bibliothèque. Elle n'était pas fermée, heureusement pour elle ! Marjorie entra timidement dans la salle. Cela l'intimider toujours de se retrouver face à d'imposantes étagères de plusieurs mètres de haut remplie de livres divers et variés. Elle avait mis un matin entier à trouver le livre qu'il lui avait fallu pour préparer son exposé. La jeune fille posa son sac à l'endroit prévu et se dirigea jusqu'au comptoir où se trouvait un jeune homme. Bien surprenant ce jeune homme d'ailleurs. Marjorie n'avait jamais vu d'albinos mais elle trouvait ça juste magnifique. Elle ne savait pas vraiment pourquoi mais elle trouvait ça classe d'avoir des cheveux blancs et des yeux rouges. Sauf pour les animaux où, là, elle trouvait ça presque effrayant.

Marjorie se planta devant le bibliothécaire -supposa t-elle- et lui tendit le livre avec un grand sourire.

« Je viens rendre un livre au nom de Rosenbach. Marjorie. »

En venant ici, Marjorie ne s'était pas attendu à un super accueil, compte tenu du retard dans le retour de son emprunt. Mais, elle ne l'avait pas imaginé comme ça. Ça, c'était un regard dur, plein de mépris et de suffisance. Tout comme ses paroles.

Elle se sentit quelque peu gênée quand il lui fit la morale sur son retard. Elle ne répondit rien car il avait totalement raison, bien qu'elle trouvait son ton un peu trop exagéré pour la situation.

« Il me faudrait aussi votre carte d'emprunt. Que je puisse vous dire pour combien de temps votre compte sera bloqué. Cela ne tiendrait qu'à moi, je vous évincerai carrément du système, mais il faut croire que ce n'est pas permis. Le système doit vouloir protéger les simples d'esprit. »

Marjorie se sentit provoquée et surtout blessée dans son orgueil lorsqu'il sous-entendit qu'elle était 'simple d'esprit'.
D'accord, il avait peut-être eu une journée difficile ou peut-être qu'il était particulièrement susceptible vis-à-vis des retards mais, il n'avait aucunement le droit de la juger sans la connaître !

Marjorie s'avança un peu plus, histoire qu'il l'entende bien sans pour autant devoir crier. Première règle dans une bibliothèque : chuchoter.

« Vous ne me ferez pas un complexe de supériorité ? Je suis bien d'accord avec le fait que je n'aurais pas du rendre ce livre autant en retard et je comprends que les journées de travail peuvent être épuisantes et vous mettent sur les nerfs mais ce n'est pas une raison pour être aussi désagréable ! »

Marjorie fit une pause puis reprit, sans lui laisser le temps de répondre.

« Et je remercie le système de nous protéger, nous 'simples d'esprits'. Il nous laisse la possibilité de nous instruire et de soigner notre 'faiblesse d'esprit' en nous permettant d'accéder aux livres de cette bibliothèque. Contrairement à son charmant personnel. »

Marjorie ne s'était entendu parler sur ce ton depuis assez longtemps. Mais, lorsque quelqu'un faisait preuve d'autant de mépris, sans avoir explicitement dit ses raisons, cela la mettait hors d'elle. Et même s'il avait toutes les raisons du monde, elle n'accepterait jamais qu'on rabaisse des personnes au rang de 'simples d'esprits' sans les connaître. Qu'il s'agisse d'elle ou d'un autre.

« À votre place, j'essaierai de connaître les gens avant de les traiter comme s'ils n'étaient là que pour vous mettre en valeur. Et aussi j'éviterai de me prendre d'aussi haut, comme si j'étais le Tout-Puissant. On est des milliards sur cette planète et, à mon humble avis, il y aura toujours quelqu'un de mieux que vous. En tout cas, plus accueillant et souriant. »

Sur ces mots, elle sortit de la poche de son pantalon sa carte d'emprunt et la posa sur le comptoir sans user de délicatesse. Elle n'aimait pas se mettre dans cet état. Mais il l'avait bien cherché ! S'il ne lui avait pas parlé sur ce ton en la traitant de 'simple d'esprit', elle n'aurait jamais dit toutes ces choses.

Marjorie croisa ses bras sur sa poitrine, en attendant qu'il finisse ce qu'il avait à faire mais peut-être aussi, inconsciemment, qu'il lui fasse des excuses.