Il se réveille souvent en sueur, il n'est pas habitué à ce silence. Il sursaute souvent quand il entend des objets tombés, ça lui rappelle des souvenirs. Il a en permanence cette petite boule au ventre qui le ronge de l'intérieur depuis qu'il a déserté le champ de mines alias le cimetière humain. Il s'est cassé comme un chien avec juste comme promesse d'envoyer un peu d'argent tous les mois. Peut-on considérer Mohamed comme un lâche ? Oui et non, on va mettre ça sur le compte de la Faucheuse, juste pour cette fois.
   

Elle laisse tomber les couverts au fond de l'évier laissant le bruit sourd envahir le malaise qui la plombait sur place. Elle continue de frotter mécaniquement la vaisselle sale, se retenant tout simplement de s'effondrer sur le sol, à la place, elle regarder vers le haut, ordonnant aux larmes de ne pas couler.


Elle porte sa main à sa bouche. Elle aurait bien craché tout le venin qu'elle avait en tête à ce moment-là mais elle savait plus que bien que ça allait rendre la situation plus que dramatique. Elle mord encore et encore sa lèvre inférieure en sentant son cœur se serrer, s'écraser et se déchirer.


Mohamed s'avance doucement et enlace sa mère, elle sent si bon, le parfum des mille odeurs du marché mélanger avec une dose de féminité. Il aime sa mère, beaucoup. Elle a toujours été là pour lui, pour ses premiers pas, ses premiers mots, ses premiers amours. La quitter lui brise le cœur, quitter le nid familial le casse, tout simplement. Camila, sa petite sœur qui lui a fait voir de toutes les couleurs, une petit brune aux yeux espiègles et joueurs, de ses beaux yeux bleu caché sous une frange aussi épaisse qu'une crinière de lion. Il lui avait déjà parlé de son projet de quitter la Syrie pour un pays quelque part en Europe, un contraste de la poussière et des bombes. Il avait juste envie de cultiver, d'oublier et de recommencer une vie correcte, à 22 ans, il en était encore temps.

Les mains de Mohamed étaient particulièrement chaudes et apaisantes, elles seraient tendrement la taille de sa mère qui maintenant sanglotais silencieusement, elle se retourne et sèche d'un revers de manche ses yeux avant de passer sa main dans la tignasse bouffie de son fils chéri, le sourire aux lèvres, elle l'enlace, elle aussi. Il laisse ses larmes couler le long de ses joues.


Désolé de partir quand tout va mal, désolé de se casser comme un bâtard qui dans le brouillard. Il en avait des remords durant ces quelques minutes. Pour lui, partir était une évidence, c'était cette voie qu'il devait suivre pas une autre. Il ne voulait pas finir six pieds sous terre dans ce pays de merde ou finir troué de partout pour quelques bouts de papier dans son porte feuille. Dans l'étroit couloir, il y avait entassé contre une armoire un sac de voyage, un gros sac de voyage, un passeport et une liberté. Il s'inquiétait de son adaptation à son nouvel habitat : arabes pour les occidentaux c'est voleur, tricheur et arnaqueur, des parasite qui fuient leur pays et viennent imposer le voile dans d'autres pays, préjugés que Mohamed détestait plus que tout au monde.


Il sourit, il est heureux de voir sa mère sécher ses larmes avec tant de courage, il est surtout heureux que la distance ne pourrait jamais abattre cet amour maternel, cette famille qu'il aime tant.


Un ticket d'avion plus tard et un voyage fait légèrement en retard. L'avion est maintenant dans les airs, comme sont cœur foutu en l'air, il se dit que ça va aller, sûrement. Serrant son bagage dans sa main, il se retient de se retourner, de tout laisser tomber juste avant de décoller et de mettre en valeur sa lâcheté et surtout sa liberté. L'avion est maintenant dans les airs, comme sont cœur foutu en l'air, il se dit que ça va aller, sûrement. Perdu dans l'océan, Greystone était le parfait point de départ. Le phénomène mutant, les secrets d'une utopie. Un beau matin, au bord d'un trottoir plus que dérisoire, mister Djebali sort de son taxi, près à commencer une nouvelle vie.